Taubira face à
Caron à «ONPC» : jamais on n'a autant regretté Zemmour, Naulleau et Polony !
Chaque semaine,
Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est
magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole. Il est l'auteur de
«Contre la justice laxiste», publié aux Éditions de l'Archipel (2014). Son
dernier livre un roman judiciaire intitulé «72 heures» (Lajouanie) est DISPONIBLE
depuis le 4 décembre.

Alors
qu'il y a des moments où, au contraire, on se couche tout le temps.
J'ai
été étonné quand j'ai lu que Christiane Taubira était l'invitée politique du 21
février parce qu'en général, elle s'est fait une spécialité non seulement de la
rareté médiatique - en hommage personnel à son caractère précieux - mais de sa
volonté, quand elleOFFRE
sa présence, d'échapper à toute véritable
contradiction.

En
l'occurrence je lui reconnais un grand mérite: elle avait compris ce qui
l'attendrait.
Elle
est venue, elle a parlé, elle a vaincu. Evidemment sans gloire mais avec la
tranquille arrogance de qui domine par l'oralité et subjugue par l'incapacité
où se trouve autrui de lui opposer la moindre réplique argumentée et
compétente.
Le
plateau était composé de telle manière, avec ce mélange vulgaire de promotion
narcissique et corporatiste - la série Chefs étant vantée, la télévision se
célébrant elle-même - et d'idéologie dominante et rigolarde, que la garde des
Sceaux était ASSURÉE
d'avoir des alliés et des admirateurs quasiment
partout.

Philippe
Torreton, dont la pureté revendiquée n'est pas contradictoire avec l'appétence
médiatique, François Rollin dont on aurait pu espérer mieux, Aymeric Caron qui
est demeuré dans sa ligne plus que favorable à Christiane Taubira et Léa Salamé
qui en matière de justice ne pouvait faire qu'avec ce dont elle disposait. Plus
Laurent Ruquier davantage préoccupé par ses bons mots réels ou prétendus que
par l'instauration d'une contradiction authentique.
Univers
exemplaire donc, si j'ose dire, incestueux par la connivence et la complaisance
et gangrené par l'ignorance.
Quand
on a la chance exceptionnelle d'avoir une Christiane Taubira en face de soi et
qu'on maîtrise un peu la psychologie, on ne favorise pas avec enthousiasme et
sans pudeur la double faiblesse de sa nature. D'une part la très haute opinion
qu'elle a déjà d'elle-même - l'encens a été déversé avec profusion - et d'autre
part sa propension à nous inonder de son verbe en nous faisant croire qu'il a
été ou sera de l'action
.
Je
n'ai jamais plus regretté l'absence d'un Eric Zemmour, d'un Eric Naulleau,
d'une Natacha Polony qu'au COURS
de cet entretien à la fois long et unilatéral.
Rien ni personne n'ont entravé la marche irrésistible de Christiane Taubira
vers l'adoration d'elle-même.

Difficile,
il est vrai, de rompre le cours d'un monologue à peine troublé par quelques
aimables et respectueuses interpellations cherchant à donner le change et à
persuader les téléspectateurs que la ministre de la Justice était questionnée.
Alors qu'elle n'était que courtisée.
On
soutiendra que c'est la rançon de ce divertissement qui se pique de gravité et
de pensée au cours d'une parenthèse de moins en moins crédible, plausible. Cela
aurait été un miracle que la PROGRAMMATION
publicitaire fasse apparaître un contradicteur
de qualité sur le fond.

Je
n'ai jamais plus regretté l'absence d'un Eric Zemmour, d'un Eric Naulleau,
d'une Natacha Polony qu'au cours de cet entretien à la fois long et unilatéral.
Rien ni personne n'ont entravé la marche irrésistible de Christiane Taubira
vers l'adoration d'elle-même.
Avec
une parole profuse, lyrique, emplie de généralités miséricordieuses et
brillantes. Mais fuyant aisément la quotidienneté médiocre et dangereuse de sa
politique pénale - on a été ravi d'apprendre qu'elle en avait une! - puisque sa
logorrhée avait toute latitude pour échapper à la pauvreté dogmatique d'un
bilan et au réquisitoire d'un peuple français oublié, méprisé dans ses peurs et
ses attentes.
Je
n'aurais pas accepté de demeurer ainsi devant un spectacle à la fois crispant
et vide puisqu'il n'apprenait rien, ne prenait rien en COMPTE
de ce qui n'était pas lui dans son autarcie
artificielle et, profondément, se moquait du citoyen. S'il ne s'était pas agi
justement d'une exigence démocratique fondamentale: a-t-on le droit, pour se
parer indûment des plumes de paon, de s'approprier une rigueur voulue par
d'autres et des mesures dont on n'a pas approuvé la nécessaire sévérité?

Plus
que jamais on est resté à la porte du débat qui aurait eu lieu d'être: sur
l'état des prisons, sur la déplorable loi édictant non pas une contrainte mais
une douceur pénale, sur le projet heureusement retardé visant à rendre encore
plus molle et compassionnelle la justice des mineurs, sur l'abolition des rares
dispositions à sauver du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Le
pire, le scandaleux, c'est que, tout au long de cette époustouflante
supercherie intellectuelle et politique, celui qui est resté désespéré dans les
coulisses était condamné au silence. Le peuple français. Le vrai.
L'insupportable.
Sur
une philosophie doctrinaire et aveugle - le «marqueur de gauche» comme a dit
François Hollande qui n'est pas dupe da sa tactique en l'occurrence cynique -
aussi éloignée d'un état de droit ferme et honorable que Christiane Taubira
d'un examen de conscience modeste et lucide sur elle-même.
A
la longue, c'est une forme de nausée qui vous envahit. Cette manière honteuse
dont le peuple français est exilé de son PROPRE
espace pour que lui soit substituée une
communauté rêvée, fantasmée et arbitraire. La multitude dont Christiane Taubira
a besoin. Des citoyens à éduquer et des transgresseurs à ménager.

Notre
garde des Sceaux voudrait être une Antigone avec des mains. Mais c'est une
Antigone habile et protégée au-delà de tout et ses mains n'ont pas saisi ni
empoigné grand-chose.
Le
comble est venu à la fin. Alors que tout s'était merveilleusement déroulé pour
elle car rien de réel n'avait entravé l'enchantement d'elle-même et de sa
singularité, on a donné le coup de grâce.
François
Rollin, comme un cheveu sur cette pantalonnade, une digression sur cette
catastrophe, a porté aux nues Christiane Taubira parce qu'elle avait fait un
beau discours - «sans notes» - lors de l'enterrement de Tignous. Voilà qui
était décisif pour la qualité technique et démocratique d'une ministre de la
Justice qui précisément se sert de la parole pour se détourner de l'intolérable
présent!
On
devine comme Christiane Taubira a été ravie de cet hommage ultime et
intempestif. Avec un sourire qu'elle sait rendre merveilleux, elle a charmé
Rollin en lui promettant de l'embrasser «dans les coulisses».
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