La discrimination est l’un de ces mots-pièges que vénère la
novlangue du politiquement correct.
Elle occupe une place privilégiée au coeur
du dispositif qui transforme ce vecteur de liberté qu’est le langage en moyen
d’oppression, lorsque des mots se chargent du pouvoir ambivalent des tabous.
Son emploi, selon les cas, stigmatise le délit, la mauvaise pensée, l’ombre du
crime ou fait resplendir l’icône de l’égalité.
D’ailleurs, il a suffi d’un
adjectif, « positive », pour en redorer l’image. Cet oxymore apparent a fait le
bonheur de la gauche idéologique : pour passer de l’égalité formelle des droits
à l’égalité réelle en fait, il faut donner plus à ceux qui ont moins et «
privilégier » les minorités.
C’est ce genre de trouvaille imbécile qui mine nos
démocraties, ruine la liberté et paralyse la parole et la pensée.
La discrimination est un mot
relativement récent, d’importation anglaise, que Littré ignore et qui arrive
dans nos dictionnaires avec une dignité toute britannique : c’est une faculté
de distinguer, de discerner. Quoi de plus noble que la distinction ?
De plus
sensé que le discernement ? Il y avait dans le mot comme un parfum
d’objectivité, de sérieux scientifique : discriminer, c’était séparer en
fonction de discriminants, de critères fondés et sérieux.
Ces trois vertus ont
cédé tour à tour au raz-de-marée égalitariste. La distinction aristocratique
est fanée. Le discernement si cher aux textes doctrinaux et pédagogiques de
l’Eglise semble bien désuet.
Quant à la prétention scientifique, elle doit
s’effacer devant l’idéologie de l’égalité. Désormais tout se vaut. Il est
suspect voire criminel d’établir des hiérarchies. Il est au contraire plus
juste de les renverser ou de les inverser. Toutes les religions se valent. Tout
ce qui se dit art a droit de l’être. Tous les hommes sont égaux, certes, mais
certains plus que d’autres, ceux justement que les préjugés défavorisaient.
Comme il faut traiter le mal à sa racine, on commence par l’école, en arrachant
l’enfant le plus tôt possible au déterminisme familial, en éliminant les
filières sélectives, les options valorisantes comme les langues anciennes, et
les notes après les classements qui pénalisent scandaleusement ceux qui
travaillent moins ou moins bien.
L’ombre du péché plane
désormais sur tout ce qui divise et qui sépare. La ségrégation est une tache
indélébile au front de l’Amérique. La sélection évoque sournoisement les camps
nazis. L’idée d’opérer un choix, un tri parmi les personnes à contrôler sombre
dans le délit de faciès condamné par le MRAP. Pourquoi un barbu portant un sac
lourdement chargé serait-il plus suspect qu’un cadre cravaté muni d’un
porte-documents ?
Celui qui aurait le mauvais goût de souligner l’identité
commune d’origine ou de religion des auteurs d’attentats se ferait justement taxer
d’amalgame raciste insupportable.
Déjà la discrimination a fait son entrée dans
le code pénal et dans la loi sur la « liberté » de la presse.
Le choix d’une
personne plutôt que d’une autre est toujours susceptible de poursuites et de
condamnations dès lors qu’en dehors de critères légitimes, il se sera appuyé
sur l’un des 21 motifs jugés discriminatoires.
Le nombre de ceux-ci a sans
cesse augmenté faisant reculer la liberté et progresser l’hypocrisie. Le
Défenseur des Droits veille ! Toute tentative de justification de ces critères
illégitimes pourra, quant à elle, être poursuivie en tant qu’incitation à la
discrimination avec l’appui des inquisitions privées que sont devenues
certaines associations. La confusion généralisée, le refus de distinguer, la
chasse aux sorcières discriminantes, sont des menaces entretenues contre la
liberté de penser, contre la pensée elle-même !
Pauvre Descartes !
Le bon sens
n’est plus la chose du monde la mieux partagée. Distinguer, diviser, séparer,
mettre de l’ordre, classer, hiérarchiser sont essentiels à la pensée humaine.
On dira que cela demeure vrai pour les choses ou les idées, mais devient odieux
lorsqu’il s’agit des hommes. La séparation en groupes inégaux en droits, la
ségrégation est bannie. La discrimination qui est sa survivance dans les faits
doit aussi être pourchassée.
Certes, mais cette obsession devient absurde à
force d’excès. Il est juste et nécessaire de séparer le bon grain de l’ivraie.
C’est le principe même de tout jugement. La Justice que ce soit celle des
tribunaux, ou celle que doivent appliquer l’enseignant, l’employeur, toute
personne exerçant un pouvoir ou une responsabilité exige le recours à une
hiérarchie, un classement, un choix. Celui-ci ne doit pas être fondé sur des
préjugés, mais on ne peut lui interdire de s’appuyer sur le raisonnement.
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