Des
proches de Marine Le Pen, via le microparti Jeanne et la société Riwal, ont
installé un juteux circuit de financement des campagnes.
Marine Le Pen a annoncé ce jeudi matin son intention
de porter plainte contre Libération après la parution dans nos colonnes de
cette enquête démontant le système de FINANCEMENT
des
campagnes électorales grâce au microparti Jeanne et à la société Riwal. Des
circuits financiers qui intéressent les magistrats du pôle financier.
Au FN, c’est désormais la règle : pour les élections
départementales, en mars, le parti propose de NOUVEAU
à ses candidats d’acheter un «kit de campagne».
Tracts, affiches, bulletins de votes, site internet… Ce lot de matériels, dont
la taille varie selon les circonscriptions, comprend le b.a.-ba de la
propagande politique. Prix de l’ensemble : «entre 3 000 et 10 000 euros»,
selon le secrétaire général du FN, Nicolas Bay. Et qu’il s’agisse de la
livraison ou du FINANCEMENT
du lot, Jeanne s’occupe de tout. Jeanne, c’est le
microparti de Marine Le Pen, qui achète le kit à son concepteur, la
société Riwal, avant de le revendre aux candidats. C’est aussi Jeanne qui
propose à ces derniers de leur avancer la somme nécessaire à l’achat du kit.
Ingénieux, le système est depuis plusieurs mois dans
le viseur de la justice. Kits obligatoires, taux d’emprunt exorbitants,
soupçons de fausses factures et d’abus de biens sociaux, hypothèse d’un FINANCEMENT
politique occulte : telles sont les pistes suivies par
les enquêteurs, à la recherche d’un éventuel schéma d’enrichissement illicite.
Une procédure qui pourrait faire des dégâts dans l’entourage immédiat de Marine
Le Pen. Ouverte en avril 2014, l’information judiciaire confiée aux
juges Van Ruymbeke et Buresi a déjà abouti à la mise en examen, fin
janvier, de Frédéric Chatillon, ami de Marine Le Pen et patron de la
société Riwal. D’autres proches de la présidente du FN pourraient être
inquiétés prochainement. Posant la question de sa responsabilité exacte dans ce
dispositif.
TRÈS CHERS KITS
Mars 2013, dans le Nord-Pas-de-Calais. A
l’approche des municipales, Carole, mère de famille, saute le pas : elle se rend
dans la permanence locale du FN pour prendre sa CARTE
du parti et donner un coup de main lors de la
campagne. Mais c’est à de toutes autres responsabilités qu’elle se voit
assignée : «Moi,
je vous verrais bien tête de liste à Gravelines», lui lance tout de go le secrétaire départemental du
FN. Qu’importe l’inexpérience de Carole, et le fait qu’elle ne réside pas dans
la ville en question. Quant au matériel de campagne, on ne lui laisse pas
davantage de choix.«Il
fallait que j’achète un kit fourni par Jeanne. Pour 2 550 euros, vous
aviez les documents officiels, un journal de campagne à 5 000 exemplaires,
un site internet et l’aide d’un expert-comptable pour suivre VOTRE COMPTE
de campagne.»
Marine Le Pen n’apparaît pas dans les statuts de
Jeanne. Mais le microparti, fondé en 2010, est géré par des proches de la
présidente du FN. Telle sa vieille amie Florence Lagarde (présidente) ou
le vice-président frontiste Steeve Briois (mandataire financier). Comme tous
les micropartis, la fonction de Jeanne n’a rien de politique : il s’agit avant
tout d’un organe financier.
Quant à la société en communication Riwal, elle est,
elle aussi, dirigée par une connaissance personnelle de Marine Le Pen :
Frédéric Chatillon. Ce musculeux entrepreneur est un ancien leader du syndicat
étudiant d’extrême droite GUD (lire
page 4) et son entreprise est l’un des principaux
prestataires du FN. Ayant fait produire le kit de campagne par des
sous-traitants, Riwal le vend à Jeanne, qui le revend ensuite, au même prix,
aux candidats. Bien rodé, le système a déjà été mis en œuvre lors des
cantonales de 2011 et des législatives de 2012 - ces dernières intéressant
particulièrement la justice : 520 candidats FN avaient acheté le fameux
kit, qui coûtait 16 650 euros dans sa version standard. Pour les élections
départementales, en mars, le parti d’extrême droite sera présent dans 1912
cantons…
«Gérer le matériel de campagne, c’est un
boulot de fou, explique Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front
national. Avec
les kits, il y a d’abord la volonté d’avoir un message politique unique. Puis
de décharger les secrétaires départementaux et les candidats d’un travail
ingrat. Et, enfin, d’assurer l’unité de présentation, de la charte graphique.» C’est pourtant bien ce kit, ou plutôt les modalités de
sa distribution, qui a justifié l’ouverture d’une ENQUÊTE
pour escroquerie.
Premier motif d’étonnement pour la justice : le
caractère obligatoire de ce matériel.«L’investiture du FN n’est validée qu’après signature
du bon de commande relatif au kit de campagne, peut-on
lire dans une note ADRESSÉE
à l’époque aux secrétaires départementaux. Celui-ci est donc obligatoire et
s’impose à tout candidat INVESTI
par le FN.» Quelques candidats,
notamment les têtes d’affiches du parti, s’en sont bien passés, mais ils font
figure d’exception. En 2012, les ventes de kits ont ainsi permis à Jeanne
d’être la quatrième formation politique en termes de rentrées financières
(9,6 millions d’euros), derrière le PS, l’UMP et le PCF… mais DEVANT
le FN.
Le coût réel de ces kits interroge les juges.
Chatillon assume des marges importantes (entre 40% et 50%, selon un proche)
qu’il justifie par l’image négative du FN, «un client qui chasse tous les autres». Mais les enquêteurs soupçonnent Riwal d’avoir mis en
place un système de fausses factures avec des sous-traitants pour justifier le
prix des prestations. Ils s’étonnent que la «conception» des tracts et affiches
soit facturée à chaque candidat, alors que, de l’un à l’autre, seule change la PHOTO
figurant sur le document.
Si l’escroquerie était avérée, l’Etat en serait la
victime. Il rembourse en effet les dépenses de campagne des candidats ayant
recueilli au moins 5% des voix aux législatives. Les kits étant quasi
obligatoires, Riwal aurait réalisé une marge considérable aux frais du
contribuables en gonflant la facture du matériel vendu à Jeanne. Un système
d’autant plus ambivalent que l’un de ses acteurs centraux porte une double
casquette. Intime de Chatillon, Axel Loustau est en effet à la fois trésorier
de Jeanne… et actionnaire de Riwal.
DES PRÊTS
FICTIFS ?
Avant d’être remboursés, comment les candidats
financent-ils l’achat du fameux kit ? Là encore, Jeanne est à leur chevet… et
fournit de NOUVEAUX
motifs de curiosité à la justice. Contrairement au
kit, le prêt proposé par le microparti n’était pas obligatoire lors des
législatives, mais une «grande
majorité» des candidats y ont souscrit, selon
Wallerand de Saint-Just. Et ce, malgré un taux d’intérêt plus élevé que dans le
système bancaire traditionnel : 6,5%.
Problème : les dates de début et de fin inscrites sur
certaines conventions de prêt apparaissent arbitraires et ne correspondent pas
à la réalité. La durée du prêt est ainsi artificiellement rallongée pour
gonfler le remboursement final. Ce point n’a pas échappé à la Commission
nationale des COMPTES
de campagne (CNCCFP), qui a retoqué certains comptes
sans se prononcer sur le fond. Car, en soi, un parti a parfaitement le droit de
prêter de l’argent à ses candidats - la pratique est même répandue. Mais dans
le cas de Jeanne, l’opération ressemble fort à un simple jeu d’écriture.
Un
ex-candidat raconte : «Mon
mandataire financier et moi avons fait un chèque de 16 650 euros à l’ordre
de Jeanne pour régler le kit. Nous le leur avons envoyé. Sitôt qu’ils l’ont
reçu, ils m’ont fait un virement au titre du prêt. Et, dans la foulée, ils ont
encaissé mon propre chèque.»
En
clair : Jeanne prête de l’argent au candidat pour lui permettre d’acheter le
kit, mais l’argent revient instantanément dans ses caisses. «Riwal avance les frais et n’est
payé qu’à la fin de la campagne»,décrypte
une source du dossier. La convention de prêt n’a donc qu’un objectif :
justifier le remboursement public pour les candidats ayant fait plus de 5%, et
empocher au passage les intérêts d’emprunt.
Pour sa défense, le FN avance que les comptes de
Jeanne ont été régulièrement validés par la CNCCFP. Mais, contrairement à une
idée reçue, celle-ci n’a aucun pouvoir d’investigation sur les FINANCES
des partis. Seuls les commissaires aux comptes,
choisis par ces derniers, ont accès à l’ensemble des dépenses. Pour Jeanne,
tout repose sur deux personnes : Benoît Rigolot et Nicolas Crochet. Le premier,
proche des milieux traditionnalistes, a fondé en 2009 un cabinet
d’experts-comptables avec un proche de Frédéric Chatillon, Olivier Duguet.
Quant au second, un temps conseiller économique de Marine Le Pen, il
a porté les couleurs du FN aux législatives de 1992. De quoi faire douter de
leur parfaite impartialité. «Il
n’y a aucun conflit d’intérêt, proteste
Saint-Just. Oui,
Nicolas Crochet est un ami. C’est normal de travailler avec des personnes de
confiance.»
QUI EST VISÉ
PAR L’ENQUÊTE ?
Présenté par Marine Le Pen tantôt comme un «ami», tantôt comme un simple«prestataire de service», Chatillon
est pour l’instant le seul à être poursuivi. Le patron de Riwal a été mis en
examen en janvier pour «escroquerie»,«faux
et usage de faux»,«abus de bien social» et «blanchiment d’abus de bien
social». Soupçonné d’avoir surfacturé ses
prestations bien au-delà des marges habituellement admises, Chatillon aurait
par ailleurs une fâcheuse tendance à confondre ses frais personnels avec ceux
de sa société. Selon les informations de Libération, plusieurs mouvements de fonds suspects ont ainsi été
repérés par les enquêteurs sur le COMPTE
de Riwal, dont un virement de plus de 300
000 euros vers une société basée en Asie. Le patron de Riwal est-il le
seul à s’être enrichi ? Autrement dit, une partie des sommes faramineuses
engrangées lors des dernières campagnes frontistes a-t-elle pu revenir par des VOIES
dérobées dans les caisses du FN ? Cette question est
désormais au cœur de l’enquête. D’autant plus que, selon Mediapart,
d’importants retraits en espèces ont eu lieu sur le compte de Riwal en 2012. «Tout le monde se le demande s’il
y a eu des rétrocommissions», reconnaît
un membre du bureau politique du FN. Avant d’écarter l’hypothèse : «Je suis intimement convaincu que
rien ne sortira de ce côté. Les Le Pen sont insurpassables en matière de
droit et d’argent. Quant à savoir ce que Chatillon fait du sien, avec son train
de vie, c’est une autre chose…» Et
d’expliquer avoir, «comme
d’autres, déjà mis en garde Marine Le Pen contre ce personnage, dont le
profil et le parcours m’inquiètent. Elle m’a simplement répondu que c’était
quelqu’un de très pro, un ami à qui l’on pouvait faire confiance».
D’autres acteurs du dossier pourraient être
prochainement inquiétés : Axel Loustau, l’homme à la double casquette
Jeanne-Riwal, mais aussi les deux commissaires aux comptes du microparti. Quid
de Marine Le Pen elle-même ? La présidente du FN est partout et nulle part
à la fois. Son microparti joue un rôle central dans la machinerie frontiste : à
Jeanne comme à Riwal, ce sont ses relations personnelles que l’on retrouve.
Pour autant, celle-ci n’apparaît pas dans les statuts de Jeanne. Qu’a-t-elle
su, qu’a-t-elle fait ? Avec de nombreuses écoutes TÉLÉPHONIQUES
et des caisses entières
de documents saisis, les enquêteurs disposent d’une abondante matière pour
approfondir la question.
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