On n’a jamais que les représentants que l’on mérite, on n’a jamais que les élites qu’on a formées.
« Pauvreté des idées… conformisme, formatage… pensées et
références stéréotypées… lectures trop rapides et visiblement non assimilées…
indigence de la réflexion tant bien que mal masquée derrière un déferlement de
citations et une pratique systématique du
« name dropping »… faiblesse du raisonnement que l’on croit
dissimuler et que l’on ne fait que souligner par l’abus inapproprié de
« donc », de « en fait », de « en effet »…
Ce réquisitoire qui vise les neuf cent cinquante candidats au
dernier concours d’entrée à la prestigieuse École nationale d’administration,
ce n’est pas un nouveau Pierre Poujade, un Donald Trump à la française, quelque
contempteur de l’établissement, quelque démagogue décidé à se tailler un succès
trop facile, par les temps qui courent, aux dépens de l’énarchie, qui l’a
prononcé, mais le propre jury du concours, présidé par Jean-Paul Faugère, qui
fut il n’y a pas si longtemps l’inamovible directeur de cabinet de l’inamovible
Premier ministre que fut, de 2007 à 2012, François Fillon (tiens, tiens).
Si l’on en vient au fond et non plus à la valeur
intellectuelle des copies rendues mais à la valeur personnelle et morale de
ceux qui les ont rendues, le jugement est également sans appel.
Le jury
s’étonne et s’afflige que les candidats soient incapables de présenter l’Union
européenne autrement que comme « un ordre établi qui ne pourrait être
différent ».
Il dit sa consternation devant des postulants aux plus hautes
fonctions « qui n’avouent jamais leur ignorance… qui pèchent plus encore
par excès de prudence que par manque d’imagination… qui se soucient d’abord
d’être politiquement corrects » et par tous ceux « dont la faiblesse
de l’engagement et du jugement n’égale que la volonté de plaire… »
Où l’on voit les critiques des plus éminents spécialistes de
l’administration et du service public rejoindre et formaliser l’opinion que le
grand public et le sens commun se font depuis des années de la haute école, de
son adaptation au réel, de sa maîtrise des dossiers, bref, de la technocratie
qui nous gouverne.
Mais qui, au fait, a préparé à ce concours ceux qui s’y
présentent après une longue, difficile et laborieuse préparation dispensée,
pour la quasi-totalité d’entre eux, par les différents instituts d’études
politiques et, au premier chef, Sciences Po Paris ?
Qui les a incités à écouter les préceptes de leurs
professeurs et les exemples de leurs aînés ?
Qui a fait d’eux ces bluffeurs superficiels, ces copies
conformes de la pensée unique, ces clones formatés dont toute l’audace se
limite à osciller entre le libéralisme bon teint et la social-démocratie à la
mode Macron ?
Qui a douché leurs enthousiasmes, gelé leur imagination,
lissé leurs aspérités, dissipé leurs illusions,
Qui, au lieu de leur inculquer
le sens de l’État, leur a instillé celui de leurs intérêts ?
Qui leur a fourré dans la tête que le plus impeccable des
plans de dissertation ne vaut pas le plus cynique des plans de carrière ?
Qui leur a appris à se courber et à se tordre pour passer par
les méandres des coulisses parlementaires, des cabinets ministériels, des
combinaison politiciennes, ou à chausser les confortables pantoufles du secteur
privé et de la banque d’affaires ?
Qui leur a expliqué que le destin des bêtes à concours,
fussent-ils les plus brillants pur-sang, est de finir dans les écuries ?
On n’a jamais que les représentants que l’on mérite, on
n’a jamais que les élites qu’on a formées.
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